vendredi 16 septembre 2016

Si ce livre pouvait me rapprocher de toi - Jean-Paul Dubois

« Il est temps que je change ma vie. Cette vie qui n’avance pas et ne mène à rien. Je veux plonger les mains dans l’eau claire comme le faisait mon père. » (Raymond Carver)

Longtemps que je n’avais pas lu Jean-Paul Dubois. L’occasion s’est présentée quand ma femme m’a annoncé qu’elle voulait aller voir au cinéma « Le fils de Jean », film sorti il y a quinze jours adapté de ce roman. J’ai eu envie de lire le livre avant de découvrir l’adaptation, histoire d’avoir quelques points de comparaison.

Paul Peremülter, écrivain, décide après son divorce de tout plaquer pour partir sur les traces de son père, disparu des années auparavant au cours d’une partie de pêche dans un lac Québécois. Une région où il se rendait seul deux fois par an et dont personne ne savait vraiment ce qu’il allait y faire. Avant de rallier le Canada, Paul s’installe quelques temps en Floride pour y exercer des petits boulots « exotiques ». Arrivé à La Tuque, au Nord Est de Montréal, il est accueilli par un ami de son père qui lui révèle un secret aussi inattendu que bouleversant.

Dans (presque) tous les romans de Jean-Paul Dubois, le personnage principal s’appelle Paul. Dans (presque) tous les romans de Jean-Paul Dubois, il y a un problème avec le père. Dans (presque) tous les romans de Jean-Paul Dubois il est question de quête existentielle et de solitude intérieure, d’un fardeau lourd à porter et difficile à évacuer. Dans (presque) tous les romans de Jean-Paul Dubois on croise des types attachants en diable que l’on accompagne pour un bout de chemin et que l’on quitte à regret en sachant qu’on ne les oubliera pas de sitôt.

Dans tous les romans de Jean-Paul Dubois je retrouve une petite musique qui me met du baume au cœur, une écriture simple et précise, une pointe de nostalgie et de mélancolie, un humour qui confine parfois à l’absurde. Et toujours ces questions lancinantes qui empêchent de trouver la paix intérieure : « Je sais qu’elles reviendront tôt ou tard, que jamais elles ne lâchent leur proie. Le moment venu, j’espère avoir seulement la force de mutiler mes mains pour m’arracher encore à ces ronciers intimes ».

C’est beau comme un roman de Jean-Paul Dubois. Un auteur qui, décidément, sait me parler et me toucher en plein cœur.


Si ce livre pouvait me rapprocher de toi de Jean-Paul Dubois. Points, 2000. 210 pages. 6,50 euros.



















jeudi 15 septembre 2016

Et la vie nous emportera - David Treuer

"Ils ont compris que tout ça était vain et qu'ils avaient commis une terrible erreur et ils ont agi comme s'ils me devaient quelque chose [...] et c'est ridicule parce que c'est une dette qu'ils n'auraient jamais pu rembourser"

Août 42. Emma attend avec impatience l’arrivée de son fils Frankie. Le garçon vient rendre une dernière visite à ses parents avant de partir faire ses classes dans l’armée de l’air. Autour de leur résidence du Minnesota perdue au fond des bois, l’ambiance est étrange. Tout le monde est à cran depuis qu’un prisonnier allemand s’est échappé du camp situé sur l’autre rive du lac, en face de la maison familiale. A peine arrivé, Frankie décide de retrouver le fuyard. Il part avec le fusil paternel, accompagné de Félix, le vieil indien en charge du domaine et de Billy, un métis de son âge avec lequel il a grandi et qui est devenu plus qu’un ami. Au détour d’un bosquet, quelques feuilles bougent. Frankie tire, le drame se noue…

Un roman se déployant sur dix ans, entre 1942 et 1952. On y suit les trajectoires tortueuses de personnages liés par un terrible secret. Des destins bouleversés, rattrapés par la petite et la grande histoire. Le déroulement peut paraître décousu, multipliant les points de vue et les ellipses, mais l'ensemble se tient parfaitement. David Treuer entrechoque les trajectoires d'hommes et de femmes d'âges et de conditions différentes. Il tresse un canevas mêlant histoire d'amour, scènes de guerre et vie quotidienne des minorités indiennes pour obtenir une tragédie dont l'issue inéluctable est annoncée dès la première page.

Un roman crépusculaire puissant et plein d'amertume dominé par la culpabilité et l'impossible résilience. J'ai beaucoup aimé le regard porté par l'auteur d'origine Ojibwé sur sa communauté, sans complaisance ni misérabilisme. Et j'ai maintenant très envie de me plonger dans son essai "Indian Roads" qui promet un voyage au cœur des réserves indiennes contemporaines.

Et la vie nous emportera de David Treuer. Albin Michel, 2016. 320 pages. 22,00 euros.







mercredi 14 septembre 2016

Au fil de l’eau - Juan Diaz Canales

Dans un Madrid en plein marasme économique, le vieux Niceto et ses amis arrondissent leurs fins de mois en vendant à la sauvette des objets « tombés du camion ». L’octogénaire et ses comparses ne font de mal à personne mais lorsqu’un des leurs est retrouvé mort la nuque brisée, l’inquiétude les gagne. Une inquiétude qui s’amplifie le jour où un second membre de la bande est assassiné. Quand Niceto se volatilise sans laisser de traces, son fils Roman et de son petit-fils Alvaro partent à sa recherche et découvrent quelques secrets pour le moins inattendus.

J’ai d’abord cru à un remake des Vieux Fourneaux, surtout après la sortie anticléricale d’un des vieillards dans une église pendant un enterrement, mais finalement ça n’a rien à voir, essentiellement parce qu’il n’y a aucune dimension humoristique dans cet album. Ensuite, si j’ai bien saisi qu’on avait affaire à une sorte de polar, j’avoue que je n’ai pas tout compris à cette partie de l’intrigue, notamment le mobile qui pousse le tueur à agir. Mais peu importe car cette histoire m’a emporté à travers la réflexion menée sur la vieillesse et le temps qui passe : les trois générations d’une même famille (le grand-père qui n’a plus beaucoup d’années devant lui, le père à l’aube de la retraite et le fils bientôt papa pour la première fois), les liens tissés depuis des décennies avec des copains eux aussi en bout de course, ces rêves restés à jamais inaccessibles et ces fautes passées que l’on traîne comme un fardeau. Il y a aussi la mise en lumière de la crise frappant de plein fouet la société espagnole et poussant un nombre toujours plus important de personnes vers la précarité.

Pour le dessin, Juan Diaz Canales, scénariste de la cultissime série Blacksad, s’en sort admirablement avec son noir et blanc semi-réaliste digne de son confrère Carlos Gimenez ou des maîtres argentins Risso et Munoz. La surprise est d’autant plus belle qu’il est quand même rare de voir un scénariste se mettre aux pinceaux (l’inverse étant beaucoup plus courant).

Un album dont la profonde dimension sociale m’aura bien plus marqué que l’aspect « polar ». Sombre et lucide, jamais complaisant, triste et pétri d’humanité, ce « Fil de l’eau » s’annonce comme une des belles surprises de cette rentrée BD.

Au fil de l’eau de Juan Diaz Canales. Rue de Sèvres, 2016. 104 pages. 17,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec mes complices Mo et Noukette.

Les avis de Mylène et Stephie














mardi 13 septembre 2016

Frères d’exil - Kochka

« Parce qu’on les a toujours connus d’une certaine façon ou parce que ça nous convient, on croit que les choses et les gens qui nous entourent ne changeront pas. On croit qu’on aura toujours ses parents, que les murs de nos maisons tiendront toujours, et qu’on aura toujours un toit.
C’est un tort. Il y a des moments dans la vie où ce qu’on croyait solide s’effondre. Alors il faut faire son bagage. »

Pour Nani, ce moment est arrivé. L’île où elle née et sur laquelle elle a toujours vécue est en train de s’enfoncer dans l’océan. Accompagnée de sa mère Youmi et de son père Janek, la petite fille gagne le port comme des milliers d’autres habitants. Bientôt des bateaux viendront les chercher pour les amener sur le continent. Un continent dont ils ne savent rien et une nouvelle vie dans un environnement auquel ils vont devoir s’adapter, au milieu de personnes pas forcément prêtes à les accueillir à bras ouverts. Nani a laissé derrière elle son grand-père adoré, Enoha, paralysé depuis un accident et qui, ne pouvant suivre les siens, a dû se résoudre à rester sur l’île. En chemin, la fillette rencontre Semeio « graine de petit homme trop tôt meurtri par la vie ». Un enfant de 8 ans, comme elle, qui va devenir par la force des choses le frère qu’elle n’a jamais eu.

Un très beau roman jeunesse sur l’exil, le déracinement. J’y ai retrouvé toute la douceur et la sensibilité de Kochka, une auteure qui m’enchante à chaque nouvelle publication. La thématique des réfugiés climatiques offre en filigrane une réflexion sur la responsabilité des pays industrialisés et la nécessité pour eux d’assumer leur statut de « pollueurs ». L’écriture poétique donne une dimension bouleversante au périple de Nani et de sa famille, sans jamais sombrer dans le pathos. Le message se veut positif, fraternel, solidaire, sans occulter les difficultés d’adaptation et les préjugés qui perdurent.

Détail non négligeable, l’objet-livre est superbe, illustré en trichromie par le talentueux Tom Haugomat. Un roman malheureusement d’actualité dont la portée universelle touchera petits et grands. A lire et à faire lire, surtout à l’heure où l’ouverture aux autres et l’acceptation des différences est de moins en moins une évidence.

Frères d’exil de Kochka. Flammarion jeunesse, 2016. 155 pages. 12,00 euros. A partir de 10 ans.

Une lecture commune que je partage une fois de plus avec Noukette.

L’avis de Mirontaine











lundi 12 septembre 2016

Mon Forum Fnac livres (concours inside !)



Samedi dernier je me suis rendu à la première édition du Forum Fnac livres. Je n’avais jamais mis les pieds au Carreau du Temple, j’ai découvert un lieu superbe, accueillant, lumineux et pour le coup sobrement agencé avec un espace pour les débats, un autre dédié aux dédicaces et un troisième aménagé en librairie.

J’ai eu la chance de commencer ma journée par une balade dans un bus des années 30 avec Olivier Bourdeault. Pendant près d’une heure, malgré le bruit du moteur et les odeurs d’essence (c’est peut-être pittoresque un bus des années 30 mais niveau confort, on a fait beaucoup mieux depuis), l’auteur d’En attendant Bojangles est revenu, tout en modestie, auto-dérision et simplicité, sur le succès aussi inattendu que phénoménal de son premier roman. Un vrai bonheur de découvrir un écrivain plein de fraîcheur qui ne tire aucun plan sur la comète et ne prend pas la grosse tête alors qu’il y aurait franchement de quoi.

L’après-midi, la Fnac m’avait proposé « une rencontre exclusive » avec Valentine Goby. Autant vous dire que pour moi c’était clairement le clou de la journée (ben oui, Valentine quoi !!!!). Résultat, un échange de 45 minutes en tout petit comité  et forcément un grand moment. Une Valentine accessible, d’une extrême gentillesse, à l’écoute, n’hésitant pas à se livrer, à propos de son dernier roman bien sûr mais aussi sur son parcours, son rapport à l’écriture, son travail avec les éditeurs jeunesse et son expérience humanitaire aux Philippines. J’en suis ressorti sous le charme (quelle surprise^^) , bien conscient d’avoir eu la chance de passer un moment privilégié avec une auteure qui garde une place à part dans ma vie de lecteur.

Après avoir assisté à un échange entre Véronique Ovaldé et Valentine Goby (encore !) autour du « Pouvoir de la fiction » et bu une citronnade fraîchement pressée pour lutter contre la chaleur ambiante, je suis passé par le stand librairie afin de faire quelques emplettes. Il était déjà temps de repartir, ravi d’avoir passé une journée en tout point réjouissante.

Mes achats du jour.
Je trouve que j'ai été très raisonnable.

Ce Forum Fnac livres fut aussi l’occasion de découvrir ou retrouver, toujours avec le même plaisir, des blogueuses que je fréquente « virtuellement » le reste de l’année : ma très chère Noukette bien sûr (c’est simple, dans une telle manifestation, si vous voulez me trouver, cherchez Noukette, je ne serai jamais loin vu qu’en général on ne se quitte pas d’une semelle – l’inverse fonctionne également) mais aussi Caroline, Hélène et Stephie avec qui j’ai mangé le midi, Leiloona, Séverine, Laure et, pour la première fois, Keisha et Eva (en espérant sincèrement que ce ne soit pas la dernière !).

Pour fêter la fin de cette belle première édition, la Fnac m’a proposé de vous offrir le dernier roman de Jonathan Franzen, qui était l’invité d’honneur de la manifestation. Pour gagner un des trois exemplaires dont je dispose, rien de plus simple, il suffit de vous manifester dans les commentaires de ce billet. Vous avez jusqu'au 20 septembre à minuit. J'effectuerai le tirage au sort et donnerai le nom des gagnants le jeudi 22. Les belges, les suisses, les Dom-Tom et les québécois sont évidemment les bienvenus. Bonne chance à toutes et à tous.










samedi 10 septembre 2016

Ernest et Rebecca T7 : Il faut sauver Monsieur Rébaud ! - Guillaume Bianco et Antonello Dalena

Entre Ernest, Rebecca et moi, c’est une longue histoire d’amour. Depuis leur premier album, je ne les ai jamais quittés. J’adore le ton poétique et l’humour tendre de cette série, la faculté qu’ont les auteurs a abordé des sujets difficiles (divorce, maladie, perte d'un proche) avec une forme de légèreté qui permet de mieux les appréhender.

Dans ce nouvel album Rebecca et ses camarades de classe se désolent de l’éviction de Mr Rébaud, leur instit adoré, mis à pied par sa hiérarchie pour faute grave. On lui reproche, entre autres, un enseignement « anarchique et non-conventionnel ». Sa remplaçante, Mlle Bello, dirige la classe d’une main de fer, multipliant les punitions au moindre écart de conduite. Pour mettre fin au règne despotique de celle que les élèves surnomment « la sorcière rouge », Rebecca et ses amis décident d’aider Mr Rébaud a retrouver son poste au plus vite.

La narration se découpe en petites scénettes de quelques pages pouvant se lire de façon indépendante mais formant un tout cohérent. La trame principale se focalise sur les problèmes des enfants avec leur nouvelle maîtresse mais on suit en parallèle les préparatifs et le déroulement de l’anniversaire de Rebecca ainsi que les mésaventures de sa grande sœur en pleine crise d’adolescence. C’est frais, drôle, pétillant, toujours plus profond qu’il n’y paraît.

Rarement une BD jeunesse aura su mettre en scène une jeune héroïne aussi touchante que Rebecca. Cette gamine espiègle et fonceuse se qualifiant elle-même « d’enfant expansive » me fait toujours autant fondre depuis notre première rencontre, qui remonte pourtant à 2009. Et j'attends avec impatience la suite de ses aventures, surtout maintenant qu'elle est devenue une grande fille de 7 ans !

Ernest et Rebecca T7 : Il faut sauver Monsieur Rébaud ! de Guillaume Bianco et Antonello Dalena. Le Lombard, 2016. 48 pages. 10,60 euros. A partir de 8 ans.

Mes avis sur les tomes 4, 5 et 6









jeudi 8 septembre 2016

Confiteor - Jaume Cabré

« Car le chef-d’œuvre n’ouvre point ses portes à tous les vents. Il se présente comme un monde clos, hérissé de défenses et entouré de remparts. On n’y peut pénétrer qu’après plusieurs tentatives d’escalade et par effraction. Se trouve-t-on au cœur de la place qu’il n’est point encore aisé de s’y reconnaître : tout vous y paraît étranger et vaguement effrayant ; prisonnier, toutes les issues se sont refermées sur vous. Il va falloir vivre tête à tête avec un monstre inconnu qui possède sur vous tous les pouvoirs, se rendre à sa merci. Dans les arts plastiques comme en littérature, les chefs-d’œuvre commencent toujours par communiquer une sorte d’effroi. Ils échappent à nos normes. »

Confiteor est un chef d’œuvre qui correspond en tout point à cette définition rédigée par Maurice Nadeau dans la préface d’Au-dessous du volcan. C’est exactement la première impression qu’il offre au lecteur s’y plongeant sans savoir ce qui l’attend. Confiteor n’est pas un livre qui se résume. Sachez juste que c’est l’histoire d’Adria Ardèvol, mais aussi celle de Sara, de Papa et Maman, du professeur Alexandre Roig, de fra Nicolau Eimeric, d’Aribert Voigt, du frère Julià de Sant Père del Burgal, de Jachiam Mureda de Pardàc, de Lorenzo Storioni, Guillaume François Viall, Drago Gradnik, Bernat, Morlin, Rudolph Hess, Aigle-Noir et le shérif Carson, Monsieur Berenguer, Lothar Grübbe, Lola Xica et tant d’autres. C’est l’histoire d’un homme ayant toujours vécu seul, n’ayant « jamais pu compter sur ses parents ni sur un Dieu à qui confier la recherche de solutions ». C’est l’histoire du mal à travers les siècles, c’est un puzzle dont les pièces semblent impossibles à imbriquer et qui forment pourtant au final un tout parfaitement cohérent.

Confiteor n’est pas un texte qui résiste au lecteur, c’est un texte qui exige. Il exige une attention constante, il ne s’offre pas facilement. « Si, dans votre lecture, vous enjambez des phrases, soyez assuré de rompre une nécessité. Ce livre se réfère à la musique : une note sautée, vous manquez l’accord, la mélodie est fausse. Vous n’avez pas le droit de rien omettre. Le tissage, la trame, la texture sont d’un grain tel qu’à les desserrer vous élimez l’ensemble ». Encore une réflexion sur le roman de Lowry qui s’applique à Confiteor. Décidément, tous les chefs-d’œuvre se ressemblent...

Un livre qui déroute, surprend, interroge, ébahit. Qui vous emmène sur un chemin et en bifurque sans crier gare. C’est un texte grave et malicieux, cachottier, joueur, puissant et renversant. Comme le dit le narrateur, « ces papiers sont le fruit, au jour le jour, d’une écriture chaotique faite de beaucoup de larmes mêlées à un peu d’encre ». La construction incroyablement ambitieuse suscite bien plus d’admiration que de peur. On en sort éreinté mais repu, épuisé mais heureux, surpris par l'intensité ressentie, comme après un orgasme qui conclut une belle et vigoureuse partie de jambes en l’air. J’ose la comparaison, c’est vraiment celle qui, à mes yeux, correspond le mieux. Et croyez-moi, je peux compter sur les doigts d’une main les livres qui m’ont fait cet effet au cours de ma vie de lecteur. Tout simplement éblouissant.

Confiteor de Jaume Cabré. Actes Sud, 2013. 752 pages. 26,00 euros


Une lecture qui aura marqué mon été et que j'ai l'immense plaisir de partager avec Sophie et Moka. Je n'oublie pas non plus de remercier celle qui a eu la gentillesse de m'offrir ce livre l'an dernier pour mes 40 ans. Tu ne pouvais pas me faire de plus beau cadeau ♥

L'avis de Noukette




mercredi 7 septembre 2016

L’odeur des garçons affamés - Frederik Peeters et Loo Hui Phang

Au lendemain de la guerre de Sécession, le géologue Stingley est engagé par un milliardaire afin de mener une mission d’exploration sur les terres des indiens Comanche, à l’ouest du Mississipi. Accompagné du photographe Oscar Forrest et du jeune Milton, chargé de l’intendance, Stingley reste évasif sur le but réel de l’expédition. Pour Forrest, peu importe. Arrivé récemment de la côte Est, ce dandy d’origine irlandaise avait besoin de changer d’air après avoir trempé dans des combines plutôt louches à New-York. Quant à l’androgyne Milton, à tout juste 17 ans, il semble lui aussi fuir un passé sur lequel il ne préfère pas se retourner…

Ce trio improbable avance à son rythme, à peine troublé par la présence d’un chasseur de primes dont on ignore tout et d’un sorcier indien aux pouvoirs mystérieux. Franchement, je n’ai pas envie d’en dire plus tant ce western revisité bouscule avec bonheur les codes du genre. Dans ce huis-clos à ciel ouvert où chacun trimbale un but ou un secret inavouable, on navigue en permanence entre réalisme et onirisme. Il est question d’amour, de désir, de génocide indien, de la révolution industrielle à venir et de la disparition programmée des grands espaces sauvages qui seront bientôt colonisés par l’homme « civilisé ». Au pragmatisme cynique de Stingley s’oppose la quête d’esthétisme du photographe et plus l’expédition avance, plus les interactions entre les personnages se complexifient.

J’ai franchement adoré cette atmosphère nébuleuse portée par le trait dynamique et les grands aplats de couleurs chaudes aux teintes parfois fantastiques d’un Frederik Peeters en grande forme. Il y a un petit quelque chose de fantasmagorique dans ce récit à clefs éminemment symbolique. Entre le chamanisme indien et le gothique européen du 19ème siècle, les frontières ne cessent de se brouiller, quitte à parfois embrouiller le lecteur. A ce titre, la fin ambiguë entretient un certain flou artistique et laisse à chacun une totale liberté d’interprétation. Pour être honnête, je ne suis pas certain d’avoir tout compris mais cela n’a en rien gâché mon plaisir car j’aime de temps en temps être baladé de la sorte, surtout par des auteurs aussi talentueux.

L’odeur des garçons affamés de Frederik Peeters et Loo Hui Phang. Casterman, 2016. 112 pages. 18,95 euros.

Les avis de Mo et Noukette



Les BD de la semaine sont aujourd'hui
 chez Moka, une grande première !







mardi 6 septembre 2016

La fabrique pornographique - Lisa Mandel (d'après une enquête de Mathieu Trachman)

Je suis un lecteur curieux c’est bien connu. Un touche-à-tout adepte du grand écart. Alors forcément, le lancement d’une nouvelle collection combinant BD et sociologie ne pouvait me laisser insensible. J’aurais pu découvrir les coulisses des métiers du bâtiment, de la grande distribution ou des compagnies aériennes (sujets abordés dans les autres titres de cette collection) mais j’ai dû me contenter de la pornographie puisqu’il n’y avait que ce titre de dispo sur les rayonnages de ma librairie. Un heureux hasard sans doute.

Ici, c’est évidemment moins le sujet que son traitement qui m'a intéressé (vraiment, je vous jure !). Se basant sur l’enquête sociologique publiée en 2013 par Mathieu Trachman (« Le travail pornographique »), Lisa Mandel a imaginé une fiction parfaitement ancrée dans la réalité du terrain. Nous suivons donc le parcours d’Howard, vigile de centre commercial et amateur de porno en ligne, qui se fait engager sur un tournage amateur et commence une balbutiante carrière d’acteur, découvrant que l’autre côté du miroir n’est pas aussi reluisant qu’il l’imaginait.

Howard comprend vite que le porno, chez les amateurs du moins, fonctionne beaucoup sur des demandes ponctuelles auxquelles il faut se plier pour vendre : « femmes matures et épilées », « petite jeune et poilue », « tatouée ou avec des piercings », etc. Des effets de mode fluctuants difficiles à anticiper. Howard comprend aussi que sa couleur de peau le handicape dans la mesure où nombre d’actrices refusent de tourner avec des hommes noirs. Il doit donc se contenter du créneau


Il lui faudra profiter d'une opportunité en Espagne pour pouvoir enfin se plonger dans un tournage professionnel digne de ce nom où le réalisateur offre d’emblée une leçon de cinéma X



Un réalisateur qui ne se voile pas la face, bien conscient de ne pas être Spielberg et parfaitement au clair par rapport à ses intentions


J’ai appris beaucoup d’autres choses sur cet univers si particulier, notamment que l’acteur refusant de prendre du viagra ne peut se permettre la moindre panne sous peine d’être cloué au pilori, que les stars dont la photo sur une jaquette assure le succès d’un film jouent de leur notoriété pour faire grimper les cachets (comme dans le cinéma traditionnel d’ailleurs), qu'il n'y a que très peu de place pour le plaisir tant chaque position se doit d'être acrobatique afin de fournir les meilleurs angles de vue à la caméra ou encore que les acteurs du porno, souvent payés au noir et n’étant de toute façon pas considérés comme des intermittents, n’ont pas droit au chômage. Lisa Mandel a trouvé l’équilibre parfait entre sérieux et légèreté, elle aborde toutes les thématiques (hygiène, sexisme ambiant, difficulté de retrouver une existence "normale" après le terme de sa carrière...),  sans complaisance ni jugement.

Certains passages sont aussi très drôles, comme cet échange entre actrices après une virée shopping où la première, débutante, s'étonne agréablement d'avoir à porter des choses plus sexy que vulgaires tandis que l'autre, expérimentée, s'empresse de lui préciser l'image qu'elles sont censées renvoyer. Parfois, la nuance est ténue mais d'importance... 


C'est parfois cru (j'ai beaucoup aimé la leçon de "gorge profonde"), jamais gratuit, sans le moindre faux semblant et loin de tout voyeurisme ou de toute apologie. Un ouvrage pertinent qui décortique une industrie, certes particulière, mais répondant finalement à une logique capitaliste des plus classiques. Pour moi qui ne connaissais absolument rien au porno (on arrête de rire au fond !), la lecture s'est révélée fort instructive. Je vais peut-être enchaîner avec la grande distribution ou les métiers du bâtiment du coup, ne serait-ce que pour prouver aux mauvaises langues que le choix de ce titre en particulier relève bien du pur hasard et que mon insatiable curiosité me pousse à découvrir d'autres enquêtes sociologiques de terrain dans des domaines fort différents. Non mais !

La fabrique pornographique de Lisa Mandel (d'après une enquête de Mathieu Trachman). Casterman, 2016. 164 pages. 12,00 euros.



Premier mardi de septembre et retour de l'incontournable
rendez-vous de Stephie, avec un nouveau logo absolument splendide.










  



lundi 5 septembre 2016

Soyez imprudents les enfants - Véronique Ovaldé

1983 à Bilbao. Une sortie scolaire au musée et la vision d'un tableau représentant une femme nue bouleverse Atanasia Bartolome, 13 ans. La jeune fille veut en savoir plus sur l'artiste ayant réalisé cette toile, Roberto Diaz Uribe. Un peintre mystérieux qui semble avoir volontairement disparu au faîte de sa gloire. Le hasard faisant bien les choses, Atanasia apprend de la bouche de sa grand-mère qu'Uribe n'est autre que le cousin de son père. Un cousin dont personne ne sait grand chose, artiste fantôme qui l'obsède chaque jour davantage. Bien décidée à retrouver sa trace, elle part à 18 ans pour Paris afin de rencontrer Vladimir Velevine, professeur aux beaux arts et seul spécialiste connu du peintre.

Mon premier Ovaldé. Je découvre une écriture superbe et quelques passages vraiment somptueux. Je découvre une auteure qui a envie de me raconter une histoire, loin de toute auto-fiction, une histoire familiale riche et extrêmement construite s’étalant sur plusieurs siècles de façon non linéaire. Et j'aime beaucoup cette prise de risque.

Malheureusement je n’ai rien ressenti pour les personnages. Je n’ai pas forcément besoin de m’attacher à eux pour apprécier ma lecture, je peux même les détester, ce n’est pas un problème. Le souci est par contre réel lorsqu’ils me laissent indifférent. Et dans ce roman, aucun n’a suscité chez moi le moindre intérêt, que ce soit Atanasia, Velevine, les surfeurs qu’elle rencontre par hasard dans le sud de l'Espagne où le dernier personnage féminin croisant sa route. Pour chacun d’eux, mon encéphalogramme est resté désespérément plat. Concernant Atanasia, son détachement permanent et sa mélancolie « flegmatique » l’ont rendue pour ainsi dire transparente et m’ont gardé à distance.

Impossible néanmoins de nier les qualités d’un texte jonglant avec les époques qui dresse le portrait d’une jeune femme en quête de sens et d’émancipation, d'une jeune femme habitée par le désir de "couper le cordon" pour éviter que sa vie ressemble à celle de ses parents. Une famille décousue, un artiste mystérieux, un récit ambitieux, ce roman possède sans conteste de nombreux atouts. Et même si j'en sors mitigé à cause d'un manque total d'affect pour les personnages, je ne regrette aucunement la découverte, ne serait-ce que pour la très jolie plume d'une auteure que je serai ravi de retrouver à l'avenir.

Soyez imprudents les enfants de Véronique Ovaldé. Flammarion, 2016. 345 pages. 20,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec les rayonnantes Framboise et Noukette.