mardi 31 janvier 2017

A la dure - Rachel Corenblit

Il a tout préparé : cinq bassines, des grandes serviettes de plage, des draps de rechange, des bouteilles d’eau, des chaussettes en laine, du riz, des médocs. Le chien est au fond du jardin, les parents absents pour plusieurs jours. Arthur est opérationnel, il va pouvoir accueillir sa grande sœur So à la maison. Quand elle sera là les choses sérieuses pourront commencer. Une épreuve terrible à surmonter, usante, aussi difficile à vivre physiquement que nerveusement. Mais puisque So semble enfin décidée à franchir le pas, il se doit de l’accompagner, de la soutenir, de l’aider. Comme il peut.

Arthur et So. Le Ying et le Yang. Quatre ans d’écart. Lui le premier de la classe, programmé pour avoir son bac avec mention « très bien » à la fin de l’année. Elle la sauvageonne, la rebelle, l’incontrôlable, la menteuse, la voleuse. Elle que son père a foutu à la porte parce que ce n’était tout simplement plus possible.

Une histoire de fratrie sombre et bouleversante. Une histoire d’entraide et de soutien indéfectible, désespéré. Une histoire de retrouvailles. Une histoire qui laisse planer le doute sur sa conclusion, parce que dans certains cas rien n’est jamais définitivement gagné.

Comme toujours dans cette  collection un texte d’une seule voix (celle d’Arthur) à lire comme une longue lettre adressée à cette insaisissable sœur dont il ne cherche pas à comprendre ou excuser le comportement, mais qu’il ne juge pas non plus. Comme toujours dans cette collection les mots sonnent juste, l’intime n’est jamais voyeur et la dureté du sujet n’est pas une aubaine pour verser dans le tire-larmes. Comme toujours dans cette collection je referme le livre soufflé et admiratif.

A la dure de Rachel Corenblit. Actes sud junior, 2017. 64 pages. 9,00 euros. A partir de 13-14 ans.


Une pépite jeunesse que je partage évidemment  (et comme toujours) avec Noukette.









samedi 28 janvier 2017

Maggy Garrisson T1 : Fais un sourire, Maggy - Lewis Trondheim et Stéphane Oiry

Elle est touchante, Maggy. Pas la plus jolie fille de Londres. Ni la plus riche. Deux ans qu’elle ne bossait plus. Jusqu’à ce que sa voisine lui dégote un job de secrétaire auprès de son neveu. Le gars est détective privé. Du genre qui picole beaucoup et enchaîne les affaires minables. Du genre à se faire tabasser le jour où sa nouvelle assistante débarque à l’agence. Trois semaines à l’hosto et une Maggy au chômage technique. Heureusement, la jeune femme a de la ressource et est débrouillarde. Quitte à flirter avec la malhonnêteté pour gagner quelques livres et payer les factures. Mais quand son nouveau boss l’appelle de son lit d’hôpital et lui demande de planquer son portefeuille dans un endroit sûr, elle se dit que quelque chose cloche. Sans savoir à quel point elle met va mettre les mains dans une sale affaire…

Joli portrait d’une trentenaire célibataire et sans le sou à la morale loin d’être exemplaire. Si elle sort des clous, Maggy le fait avant tout par nécessité, pas par plaisir. La faune qui gravite autour d’elle n’a d’ailleurs pas davantage d’état d’âme, chacun cherchant à tirer profit de la situation pour son propre compte. Pas de héros au cœur pur dans cette histoire maline et rondement menée où le scénario retors de Lewis Trondheim est parfaitement mis en image par le trait et le découpage un brin austère d’un Stéphane Oiry visiblement très à l’aise pour retranscrire l’atmosphère humide du Londres des ruelles sombres et des pubs crasseux.

Le troisième tome vient de sortir et clôt un premier cycle sans la moindre fausse note. Une série à découvrir d’urgence.

Maggy Garrisson T1 : Fais un sourire, Maggy de Lewis Trondheim et Stéphane Oiry. Dupuis, 2014. 48 pages. 14,50 euros.




jeudi 26 janvier 2017

Chaleur - Joseph Incardona

Pour s’occuper l’été en Finlande, on organise des championnats du monde de porter d’épouse, de football en marécage, de lancer de bottes ou encore de sauna. Pour cette dernière compétition, les règles sont simples : on enferme les concurrents dans une étuve à plus de 100 degrés et le dernier qui sort a gagné. Un sport à risque où les athlètes, en maillot de bain, souffrent le martyr et risquent à tout moment le malaise, voire la crise cardiaque. Les deux stars incontestées de la discipline sont Igor Azarov et Niko Taner. Le premier, russe, échoue systématiquement en final. Impossible jusqu’alors de battre Niko, vainqueur des trois dernières éditions et icône finlandaise du porno surnommé avec affection pas ses fans « Le pieu de Thor ». Mais cette fois Igor est prêt pour faire chuter le champion. Il n’a plus rien à perdre et sait de toute façon que c’est sa dernière chance…

Un récit déjanté où tout est centré sur le corps. Son fonctionnement, ses capacités parfois hors normes, ses défaillances, ses limites. Un corps que l’on expose, que l’on met au supplice sous les yeux d’un public guettant le moment où les faibles vont craquer les premiers. Avec ce roman on est dans le vain, l’inutile, l’absurde, le néant, l’indispensable quoi !

Les personnages d’Incardonna ont un air de parenté avec les freaks du génial Harry Crews. Le turc poilu, le révérend illuminé, les filles de petite vertu toujours prêtes à rendre service, la journaliste qui passe en revue les candidats en les suçant les uns après les autres avec application. Un grand cirque plein d’obsessions et d’obsédé(e)s, plein de sueur et de sperme. De l’humour noir sans ironie et une plume acérée comme une lame, allant à l’essentiel sans laisser un poil de gras sur l’os. Chaleur est un roman sec et désespéré où la moquerie n’a pas sa place malgré un sujet de prime abord risible, un roman qui met en lumière des jusqu’au-boutistes pathétiques frôlant l’état de grâce. Il fallait oser, le résultat m’a emballé.

Chaleur de Joseph Incardona. Finitude, 2017. 150 pages. 15,50 euros.





mercredi 25 janvier 2017

Catamount - Benjamin Blasco-Martinez (d’après Albert Bonneau)

Seul survivant du massacre par des cheyennes d’une caravane de pionniers en route vers l’ouest, un nourrisson est recueilli par la famille Osborne. Baptisé Catamount (chat sauvage) par ses parents adoptifs et pris sous son aile par un trappeur expérimenté, il développe à l’adolescence une aptitude particulière pour le tir et la chasse. Lorsque réapparait le chef indien ayant attaqué le convoi de ses véritables parents, Catamount n’a plus qu’une idée en tête : la vengeance.

Dans le second tome, les Osborne doivent faire face à l’appétit d’un promoteur véreux cherchant à racheter leurs terres pour y faire passer le chemin de fer. Tandis que le père refuse obstinément de céder malgré une offre mirobolante, un plan aussi machiavélique que sanglant se met en place pour que le patriarche de la famille finisse par céder, quel qu’en soit le prix à payer.

Longtemps que je n’avais pas lu un western old school respectant les canons du genre. Indiens, grands espaces, héros au cœur pur et à la gâchette facile, femmes fatales, méchants vraiment méchants, meurtres, poursuites à cheval, drames, injustices et loi du plus fort, tout y est. Benjamin Blasco-Martinez adapte une série de romans des années 50 signés Albert Bonneau, auteur prolifique de récits d’aventure surnommé « l’homme aux mille romans ». Il s’approprie les codes de la littérature populaire tout en donnant au récit d’origine un bon coup de jeune. A la fois respectueux et moderne, il mâtine le scénario, au demeurant classique, d’une pointe d’humour noir trempée dans une bonne dose de violence. Le résultat est efficace et convaincant.

Le premier volume a été publié en 2015 chez un autre éditeur et force est de constater que les progrès du dessinateur entre les deux albums sont sidérants. Aucune comparaison possible entre les pages maladroites du tout début réalisées à l’école Émile Cohl de Lyon et les superbes cases à bord perdu du tome 2. Le trait est plus sûr, le travail sur la lumière bien plus accentué, les mouvements des personnages plus souples et les décors plus fouillés… pas le jour et la nuit mais presque.



De l’excellent western, sauvage et sans concession, qui n’est pas sans rappeler le mythique Durango d’Yves Swolfs. Si le premier tome manque quelque peu de maîtrise, le second, bien plus dense et abouti esthétiquement, ravira à coup sûr les amateurs du genre. Personnellement je me suis régalé !

Catamount T1 : La jeunesse de Catamount de Benjamin Blasco-Martinez (d’après Albert Bonneau). Petit à petit, 2017. 64 pages. 14,90 euros.

Catamount T2 : Le train des maudits de Benjamin Blasco-Martinez (d’après Albert Bonneau). Petit à petit, 2017. 64 pages. 14,90 euros.












mardi 24 janvier 2017

Des poings dans le ventre - Benjamin Desmares

« Ba-Ba-Bam ». Une cible choisie au hasard dans la cour du collège et trois coups de poings dans le ventre qui envoient sa victime à terre. Blaise ne connaît que la manière forte, il ne s’exprime que par la violence. Tout le monde le craint, les garçons de son âge comme les adultes. A la maison, sa mère, qui l’élève seule, en bave aussi. Renvoyé une semaine après avoir molesté un camarade, Blaise s’ennuie. Il zone, va voir des copains plus vieux que lui, boit de la bière et fume des joints. Ses nuits sont peuplés de cauchemars et depuis qu’il a croisé plusieurs fois en ville une silhouette cagoulée, il se demande si ce sentiment étrange qu’il l’assaille face à cet inconnu menaçant est ce que l’on appelle de la peur…

Sous ses airs de gros dur gratuitement violent, Blaise cache un mal-être et de profondes fêlures. Sa brutalité traduit une colère sourde et une fragilité à fleur de peau. Enfermé dans sa rage, Blaise cherche à se convaincre que tout va bien, que son physique de costaud le rend indestructible et que les poings résoudront tous les problèmes. Mais on sent que son assurance n’est que de façade, que derrière le sentiment d’invincibilité et le corps musclé se terre un ado sensible et angoissé.

Un texte court, tendu, nerveux comme son protagoniste. Le narrateur, s’exprimant à la deuxième personne du singulier, semble coller aux basques de Blaise, bien décider à le pousser dans ses retranchements, à fendre l’armure et à révéler le lourd secret qui pèse sur ses épaules. Phrases sèches comme un coup de trique et micro-chapitres, un roman qui se lit d’une traite et place le lecteur dans la peau du bagarreur. Percutant et dérangeant.

Des poings dans le ventre de Benjamin Desmares. Le Rouergue, 2017. 64 pages. 8,70 euros. A partir de 13 ans.

Une pépite jeunesse que je partage une fois de plus avec Noukette.








lundi 23 janvier 2017

Les Wang contre le monde entier - Jade Chang

Chez les Wang, on rêve en grand. Le père arrivé de Taïwan a fait fortune en Amérique en développant des gammes de cosmétiques bon marché. Saina, la fille aînée, est devenue une artiste reconnue à New-York. Andrew, le fils, s’imagine devenir une star du stand-up et la cadette, Grace, encore lycéenne et adepte des selfies qu’elle poste sur son blog, se voit faire une grande carrière dans la mode. Oui mais voilà, la crise de 2008 met la famille sur la paille. Charles Wang doit abandonner tous ses biens aux huissiers et quitter sa maison de Bel Air. Direction l’état de New-York pour trouver refuge chez Saina. Dans la vieille Mercedes de leur  gouvernante, les Wang se lance dans un road trip dont personne ne sortira indemne.

Une histoire  fraîche, légère, qui foule aux pieds le rêve américain et ne ménage pas ses personnages. Des personnages dont le comportement exaspérant ne suscite à aucun moment l’empathie du lecteur. Chacun à sa manière va cultiver l’art de la chute et enchaîner les infortunes. Je ne vais pas m’attarder sur ce premier roman car il n’y a finalement pas grand-chose à en dire. L’écriture très orale est fluide et simple mais elle donne dans une forme de « jeunisme » (gros mots à l’appui) qui à longue sonne assez  faux, notamment au niveau des dialogues.

Portraits grinçants et moqueurs de losers tout sauf magnifiques traversant une Amérique déboussolée, cette comédie sans prétention n’est pas le roman du siècle et elle ne me laissera pas un souvenir impérissable mais je dois reconnaître que je l’ai lue sans déplaisir, c'est déjà pas mal.

Les Wang contre le monde entier de Jade Chang. Belfond, 2017. 470 pages. 22,00 euros.












dimanche 22 janvier 2017

Les lectures de Charlotte (30) : C’est pas toujours pratique d’être une créature fantastique

Pas si facile qu’on le croit d’être une créature fantastique. Prenez les licornes. Sabots luisants, corne torsadée, robe brillante et crinière d’or, elles en mettent plein les yeux. Sauf que leur quotidien n’est pas si simple. Faire du sport par exemple est un vrai problème. Et puis la corne utilisée comme perceuse par une copine bricoleuse, c’est moyennement glamour. Le dragon a d’autres soucis. Une queue trop longue qui se coince dans les transports en commun ou un rôle de gardien de princesse prisonnière bien pénible à vivre, surtout si ladite princesse passe ses journée à se plaindre. Il vaut sans doute mieux être une sirène me direz-vous. Et bien pas vraiment. Déjà il faut la voir au réveil avec ses beaux cheveux soyeux en pétard et une tignasse impossible à démêler. Ensuite, son chant envoûtant attire tous les prétendants, même ceux dont elle ne veut absolument pas. Enfin, si elles souhaitent se mettre à la danse, pas moyen de faire le grand écart. Bref, être une créature fantastique, ça fait peut-être rêver les foules mais dans la vie de tous les jours, il y a bien plus de désagréments que de bons moments.

Une collection que l’on adore à la maison. La mécanique est simple, un gag en deux pages avec à gauche une affirmation et à droite une illustration pour valider ou (le plus souvent) remettre en cause cette affirmation. Finalement on n’est pas loin du dessin de presse avec une seule image (celle de droite) pour faire mouche. Et ça fonctionne très bien, même si certaines situations sont tirées par les cheveux. Le dessin rond et les couleurs pleines de peps de Marie Voyelle participent grandement à l’atmosphère drôle et décalée qui se dégage de chaque album.

Charlotte a un faible pour le dragon, personnellement je préfère la licorne. J’apprécie son physique rondouillard loin des licornes sveltes que l’on nous vend dans les contes de fée. Savoir que les licornes n’ont pas toutes la taille mannequin est rassurant je trouve. A la fin de chaque volume la dessinatrice propose de reproduire en quelques étapes la créature présentée. Le genre de petit plus qui est grandement apprécié, croyez-moi !

Finalement, ces petits livres offrent plusieurs options : lecture plaisir et détente au moment du coucher, lecture autonome de l'enfant sans rien demander à personne ou éclats de rire pour les parents qui verront entre les lignes une pointe d’humour noir et de second degré. De la vraie littérature jeunesse tout public, donc. On attend la suite avec impatience, tout en se demandant quelle créature fantastique va être passée à la moulinette dans le prochain volume. Allez, je mets une pièce sur le vampire !

C’est pas toujours pratique d’être une créature fantastique de Sibylline et Marie Voyelle. Des ronds dans l’O, 2015-2016. Chaque volume, 24 pages. 11,00 euros.




vendredi 20 janvier 2017

Dans la forêt - Jean Hegland

Le point de départ est simple et déjà-vu. En gros, il n’y a plus d’électricité sur terre, plus de pétrole non plus. Plus de voitures, plus de trains, plus d’avions, plus rien. Personne ne sait ce qui se passe, la rumeur court. Les gens seraient touchés par un virus, chacun se terre ou fuit, on ne sait trop où. Nell et Eva (17 et 18 ans) ont décidé de rester dans leur maison isolée au cœur d’une forêt du nord de la Californie. Elles ont du bois pour se chauffer, un garde-manger plein à craquer et un père pour les encadrer. De quoi tenir jusqu’à ce que la situation se rétablisse. Nell rêve d’Harvard, sa sœur du ballet de San Francisco. La première bûche son examen d’entrée à l’université, la seconde danse toute la journée. Au moins elles seront prêtes quand tout rentrera dans l’ordre. Sauf que. Le père meurt accidentellement et rien ne change. Le garde-manger se vide, l’ennui, la peur et les questionnements ne cessent de grandir. Face à l’inconnu, les deux sœurs vont devoir s’adapter, vivre autrement.

Une dystopie donc. Du post-apocalyptique, encore et toujours. Mais du bon. Qui ne s’attarde que sur les conséquences de la catastrophe, pas sur ses causes. Et qui regarde ces conséquences par un tout petit bout de lorgnette, l’objectif pointé sur une cabane perdue dans une clairière, au bord d’un ruisseau. L’histoire est racontée par Nell, qui tient son journal intime. Procédé encore une fois des plus classiques mais qui a le mérite de montrer l’évolution de l’état d’esprit de la narratrice au fur et à mesure que les semaines et les mois passent. L’écriture est d’une précision redoutable, il s’en dégage quelque chose de très organique où chaque sensation est retranscrite magistralement, entre réalisme brut et lyrisme contenu.

Récit d’apprentissage tournant à la robinsonnade, ce premier roman est surtout (pour moi du moins) un texte très engagé, très politique, très féministe et finalement très idéaliste. Engagé et politique d’abord, avec une pensée écologiste proche du Walden de Thoreau et des altermondialistes chantres de la décroissance (« Je n’ai jamais vraiment su comment nous consommions. C’est comme si nous ne sommes tous qu’un ventre affamé, comme si l’être humain n’est qu’un paquet de besoins qui épuisent le monde. Pas étonnant qu’il y ait des guerres, que la terre et l’eau soit pollués. Pas étonnant que l’économie se soit effondrée »). Féministe aussi, faisant des hommes (les mâles, j’entends), au mieux des maladroits (le père), au pire des lâches et des violents dont les femmes peuvent très bien se passer. Idéaliste enfin, notamment au moment de la conclusion et d’une prise de décision qui apparaît, pour les sœurs en tout cas, d’une grande sagesse (même si personnellement je n’y ai vu que pure folie).

J’ai vraiment beaucoup aimé, même si j’ai essentiellement lu ce roman comme un texte à message, une leçon de vie ne niant pas les difficultés d’un retour au monde sauvage mais faisant de la symbiose avec la nature le sens même de l’existence.

Dans la forêt de Jean Hegland. Gallmeister, 2017. 302 pages. 23,50 euros.









mercredi 18 janvier 2017

Scalp : la funèbre chevauchée de John Glanton et de ses compagnons de carnage _ Hugues Micol

« L’existence n’est qu’une imposture. Alors envoyez-moi à Dieu… je le tuerai aussi ».

John Glanton. Un nom tristement célèbre. Combattant pour l’indépendance du Texas au moment de la guerre américano-mexicaine (1846-1848), il devient par la suite chef d’une bande de massacreurs d’indiens sans foi ni loi. Du Texas à l’Arizona, il sème la terreur partout sur son passage, habité par une folie destructrice et une rage meurtrière aussi abjecte qu’infinie.

Un Far West sauvage, cradingue, malsain, loin des images d’Épinal. Racket, assassinats, viols, beuveries, Glanton et sa clique n’ont aucune limite. Pour prouver aux autorités mexicaines que les indiens ont bien été rayés de la carte et se faire payer la prime de 200 dollars par tête de pipe, il prélève le scalp avec une oreille (ça évite tout malentendu). Couteaux ou armes à feu, tout est bon pour mener à bien une chevauchée démoniaque ne cessant de repousser les frontières de la barbarie.

L’épopée sanglante de Glanton se traduit dans l’album par une fureur graphique s’affranchissant  des cases dans un noir et blanc charbonneux, torturé, proche de l’hallucination. Micol ne juge pas, il ne cherche pas à comprendre ou à excuser, encore moins à condamner. Il s’en tient aux faits dans toute leur horreur et leur cruauté, loin d’une quelconque analyse psychologique. Tout juste fait-il du meurtre, du viol et du scalp de la fiancée de Glanton dans sa jeunesse un élément déclencheur pouvant expliquer son comportement sans pitié.

La représentation de la violence est tout simplement sidérante. Micol exprime la bestialité et la rage meurtrière à travers de véritables tableaux où les corps s’entremêlent (à l’image de la couverture d’ailleurs) dans une forme de frénésie incontrôlable. La force d’évocation de ces illustrations pleine page aux allures de gravure fourmillant de détails et de mouvement m’a laissé sur le c…

Un album terrible, implacable, exhalant des odeurs de poudre et de sang, dont le réalisme mettra mal à l’aise plus d’un lecteur, qu’on se le dise.

Scalp : la funèbre chevauchée de John Glanton et de ses compagnons de carnage d’Hugues Micol. Futuropolis, 2017. 192 pages. 28,00 euros.

















mardi 17 janvier 2017

Les mains dans la terre - Cathy Ytak

« Chers parents, j'arrête mes études. Je renonce à cette dernière année, à cette carrière annoncée qui n'exige guère d'effort et ne m'apporte en retour aucune satisfaction. Quand vous lirez cette lettre, je serai déjà parti. »

Bouleversé par un séjour touristique dans le Nordeste Brésilien, Mathias comprend que la vie qui l’attend ne correspond en rien à ses aspirations profondes. Ses brillantes études, censées le préparer à reprendre le flambeau de l’entreprise familiale, lui ont inculqué la loi du marché, l’exploitation des peuples et des richesses naturelles comme instrument d’une croissance ne profitant qu’aux riches. Toujours plus pour toujours moins de monde, l’équation le rend malade.

Alors Mathias prend la plume. Dans une longue lettre adressée à ses parents, il explique et justifie ses choix, son changement de vie radical, sa difficulté à l’assumer : « Je viens de briser, violemment, en quelques secondes, la gangue dans laquelle vous, mes chers parents, vous m’aviez enfermé. J’ai, à cet instant, la fragilité d’une chrysalide qui devient papillon et n’a pas osé déplier ses ailes encore molles ».

Cathy Ytak dresse le portrait d’un jeune homme en quête de sens, d’un jeune homme pétri d’idéalisme, prêt à sortir du carcan de l’atavisme. La colère est contenue. Pas la peine de hurler, le ton est serein, les arguments limpides. Mathias est fragile mais convaincu du bienfait de son choix, convaincu qu’il lui faut « vivre autrement, à la mesure de ses vrais désirs et pas à celle des désirs créés par la société dans un but de profit. Vivre à sa place dans le monde sans prendre la place des autres ».

Un roman sensible et engagé, porté par la plume délicate d’une auteure que j’adore, qui assume ses convictions et aime pousser ses lecteurs à la réflexion. Pour le coup l’objectif est atteint, haut la main même !  

Les mains dans la terre de Cathy Ytak. Le Muscadier, 2016. 55 pages. 8,50 euros. A partir de 13 ans.


Une pépite jeunesse que je partage évidemment avec Noukette, comme chaque mardi ou presque.