dimanche 7 mai 2017

Chaussette - Loïc Clément et Anne Montel

Toujours un plaisir de retrouver des auteurs que l’on apprécie dans un registre différent de ce qu’ils proposent d’habitude. J’avais beaucoup aimé Le temps des mitaines, un peu moins Les jours sucrés (uniquement parce que ce n’était pas mon genre) et je m’étais promis de suivre de près ce duo aussi jeune que prometteur. C’est chose faite avec la découverte de la touchante Chaussette et de son univers aigre-doux. De la douceur d’abord avec le quotidien de cette vieille dame et de son chien Dagobert décrit à travers le regard de son petit voisin Merlin. De l’amertume ensuite avec un épisode empreint de tristesse mais décrit avec sensibilité et pudeur.

Les journées de Chaussette se déroulent toutes de la même façon. Parc, boucher, marchand de journaux, boulanger... une routine qui donne des repères, des rituels rassurants. Alors le jour où elle sort seule de chez elle et se comporte étrangement, Merlin la suit et s’inquiète.

Une jolie réflexion sur la solitude, la vieillesse, le temps qui passe. Les auteurs mettent en lumière les petites gens, ces "invisibles" que l'on ne remarque pas, qui vivent leurs joies et leurs peines sans faire de bruit. L'empathie se ressent à chaque page, portée par les illustrations pleines de tendresse et de poésie d'une Anne Montel dont le trait ne cesse de s'affirmer à chaque nouvel album.

De la BD jeunesse touchante, tout en finesse, qui laisse affleurer l'émotion et pousse à la réflexion avec une subtilité remarquable. Des qualités pas si courantes finalement.

Chaussette Loïc Clément et Anne Montel. Delcourt, 2017. 32 pages. 10,95 euros.


Les avis de Mo et Noukette.







vendredi 5 mai 2017

La cucina d’Ines - Philippe Fusaro

« Mon année avec Ines se résume à cette complicité immédiate, jamais envahissante, à des plats cuisinés ensemble ou à ces portes ouvertes sur un miracle offert dans une assiette, à nos confidences et à nos fous rires […]. J'ai pris sept kilos, cette année-là, et je n’ai jamais su dire non quand surgissait l’énième plat, ni comment j’ai pu survivre à certains repas parce que refuser de manger aurait été une offense. »

C’est plus fort que moi, dès qu’un livre parle de bouffe, je suis partant. Bon, pas pour les bouquins pratiques avec les belles photos, non, ce que j’aime ce sont les fictions ou les témoignages dans lesquels on nous raconte ce plaisir infini que peut provoquer la nourriture à travers le choix du produit, sa préparation et tout le lien social que cela peut induire. Autant vous dire qu’avec ce petit recueil joliment illustré par Albertine, j’ai été servi.

Philippe Fusaro raconte son départ de Strasbourg et son exil volontaire d’un an à Lecce en 2005. Un retour dans les Pouilles, la région natale de son père, après la fin de son histoire avec une femme qu’il avait aimée pendant douze ans et qui « ne voulait plus de lui ». Arrivé « dans la pointe du talon de la botte italienne », Philippe s’installe dans un modeste trois pièces avec balcon et terrasse sur le toit, bien décidé à se consacrer pleinement à l’écriture de son second roman.

Ines est sa voisine de palier. Une mama de 89 ans qui frappe à sa porte chaque jour et lui tend une assiette en lui disant « Mangia, beddhru mio » (mange, mon beau). Parce que pour Ines, un homme seul est incapable de se préparer à manger. Philippe va lui expliquer et lui montrer ce qu’il cuisine, et même si elle ne voudra jamais goûter ses plats, elle finira par accepter son « statut » de cuisinier. Surtout, une amitié solide va naître entre l’écrivain et la vieille femme chez qui il finira par passer le plus clair de son temps. Derrière les fourneaux.

Le récit de cette année, tout en pudeur, tient en à peine cinquante pages. Le reste du recueil se compose des recettes apprises auprès d’Ines et, loin d’une écriture purement fonctionnelle, la description de la conception des plats est aussi savoureuse que la dégustation, assaisonnée de conseils élémentaires de bon sens qu’il vaut mieux ne pas oublier de respecter, comme le service de la pasta, à  faire impérativement dans des assiettes creuses, sous peine de s’attirer les foudres de Dieu et l’anathème du pape Francesco. Un délicieux petit livre, parfait pour les amoureux des mots, de la cuisine et de l’Italie.

Rien que pour le plaisir, je vous donne quelques intitulés de recettes qui, même si je ne parle pas un mot d’italien, me font saliver : Cicorie al pignatto / Orechiette con le cime di rapa / Ciceri e tria / Pasta coi peperoni / Spaghetti alle cozze / Carciofi e patate / Parmigiana di melanzane. Alors, on mange ?

La cucina d’Ines de Philippe Fusaro. La fosse aux ours, 2017. 88 pages. 15,00 euros.

















jeudi 4 mai 2017

Les lectures de Charlotte (36) : Le dessert - Florence Koenig

Le printemps est arrivé. Dans sa grotte, l’ours se réveille. Il est tout maigre et meurt de faim. Mais il a trop dormi et ne se souvient plus de ce qu’il doit manger. Heureusement, il voit des poissons dans la rivière. En plongeant sa patte dans l’eau, il en attrape un et l’avale tout rond. C’est un bon début, cependant il lui faut un dessert. Le lapin a beau proposer une carotte, la grenouille une libellule et l’écureuil une noisette, rien ne lui convient. Pas plus que les nèfles du renard, le pissenlit de la souris ou le ver dodu du canard. Non, ce qu’il faut à l’ours, c’est du miel bien sûr ! Ça tombe bien, le papillon lui indique l’emplacement d’une nouvelle ruche. Mais peut-on se servir sans demander l’autorisation ? La réponse va être douloureuse…

Un ouvrage qui vaut surtout pour ses illustrations en papier découpé invitant à la rêverie. Le vernis sélectif sur chaque page pour représenter l’ours permet de se focaliser sur ses faits et gestes. Le petit format, l’épais papier cartonné et les coins arrondis achèvent de faire de cet album un superbe objet-livre que les enfants auront plaisir à manipuler. Charlotte en tout cas adore voir cet ours sans gêne être châtié par les abeilles.





Le dessert de Florence Koenig. Thierry Magnier, 2017. 24 pages. 11,90 euros. A partir de 3 ans.








mercredi 3 mai 2017

L’érection Tome 2 - Jim et Lounis Chabane

On avait laissé Léa et Florent en pleine engueulade. Pour les 40 ans de sa douce, il avait gobé une pilule bleue dans le but de lui faire l’amour toute la nuit. Le découvrant en érection devant leur aguichante amie Alexandra invitée pour le dîner, Léa avait pensé que son homme en pinçait pour « l’allumeuse ».

Apprenant la vérité sur l’état de Florent, la jeune quadra ne s’était pas calmée pour autant, considérant que s’il fallait un stimulant à monsieur pour se mettre à l’ouvrage, c’est qu’elle n'était plus désirable. Bref, un vrai sac nœuds et une situation qui s’embourbe davantage encore au début de ce second volume quand Alexandra revient chez eux en pleine nuit après avoir quitté son « connard » de mec. Commence alors des heures difficiles ou, entre prises de tête, réconciliations, attitudes équivoques et petits secrets plus ou moins bien gardés, chacun fini par aggraver son cas…

Autant  vous l’avouer d’emblée, l’érection est passée en deux tomes de prometteuse à mollassonne. Et c’est tout sauf une bonne nouvelle, n’est-ce pas ? La faute à une intrigue qui ne décolle pas, à un enchaînement des événements pas franchement surprenant ou pas vraiment crédible (notamment la virée de Léa chez les voisins du dessus), à la forme proche du théâtre qui fonctionnait si bien dans le premier et qui m’a ici souvent semblé trop bavarde. Entendons-nous, je ne me suis pas ennuyé une seconde, j’ai trouvé quelques passages drôles et j’ai retrouvé avec plaisir les personnages mais la nuit explosive promise par l’éditeur sur la quatrième de couv n’a pas pour moi été à la hauteur.

Une érection qui ne tient pas le choc sur la longueur ne laisse jamais de souvenirs impérissables, non ? Je ne dis ça parce que je suis bien placé pour le savoir (ce serait mal me connaître !) mais plutôt parce que cela relève de l’évidence. Attention, on est quand même loin de la purge et ce diptyque reste très agréable à lire mais à la fin du premier je m’attendais à une conclusion en apothéose. Pour le coup c’est raté. Dommage.

L’érection Tome 2 de Jim et Lounis Chabane. Bamboo, 2017. 70 pages. 16,90 euros.

Mon avis sur le tome 1











mardi 2 mai 2017

Natural Woman - Rieko Matsuura

Un roman en trois longs chapitres, presque des nouvelles pouvant se lire indépendamment et relatant trois moments particuliers de la vie de Yôko, dessinatrice de manga d’une vingtaine d’années. Dans la première histoire, elle se réveille pour la dernière fois près de sa petite amie hôtesse de l’air avec laquelle elle ne s’entend plus. Dans la seconde, elle accompagne une collègue de travail au cours d’un week-end de repos et n’ose pas lui avouer à quel point elle l’attire. Dans la dernière, elle revient sur sa liaison avec Hanayo qui l’éveilla, parfois brutalement, à la sexualité entre filles.

Étrange roman sur la difficulté des relations amoureuses à travers le portrait d’une jeune homosexuelle fragile et hypersensible. Étrange parce qu’à la fois très pudique et très cru, tout en retenu et en même temps n’hésitant pas à décrire de façon précise des ébats souvent proches du sadomasochisme. Yôko se cherche, Yôko aime mais ne sait comment le dire, Yôko subit, cède et agit sous la contrainte psychologique de ses partenaires. Le récit, à la première personne, fonctionne comme un journal intime. Yôko se livre et expose son manque de confiance en elle, sa difficulté à se sentir pleinement femme, à devenir une « natural woman » accomplie et sereine. Les scènes lesbiennes sont totalement suggérées ou parfaitement explicites, toujours déstabilisantes, à l’image de ce livre où le malaise plane en permanence, où le lecteur devient par la force des choses voyeur malgré lui.

Entre désir et répulsion, entre douceur et cruauté, entre lutte effrénée et convergence des sentiments, entre douleur et plaisir, la vie sentimentale exposée de la sorte apparaît aussi fascinante que complexe. Un roman publiée pour la première fois au japon il y a trente ans, assez typique je trouve d’une certaine littérature japonaise underground des années 80 qui, dans le sillage de l’icône Ryu Murakami, n’a pas hésité à s’affranchir de toute forme de classicisme pour bousculer l’ordre établi. Tout ce que j’aime !

PS : Rieko Matsuura a écrit un autre roman dont le titre pour le moins intrigant (Pénis d’orteil) justifie à lui seul que je me penche sur son cas au plus vite.

Natural Woman de Rieko Matsuura (traduit du japonais par Karine Chesneau). Picquier poche, 2015. 192 pages. 7,00 euros.












dimanche 30 avril 2017

D’entre les ogres - Baum et Thierry Dedieu

Un couple d'ogres ne pouvant pas avoir d'enfant trouve un bébé dans la forêt. Comblés, ils l'élèvent comme leur propre fille. Choyée, Blanche grandit dans la joie jusqu'au jour où elle se rend compte qu'elle est différente de ses parents. Elle se demande pourquoi elle ne mange pas la même chose qu’eux, pourquoi elle ne peut pas les accompagner quand ils partent chasser la nuit et quelle est cette odeur venant la cave ? Conscient qu’avec les années la situation devient compliquée et ne peut plus durer, l’ogre et l’ogresse décident de l'emmener au village des hommes…

Un album jeunesse sombre et dérangeant. Ce qui ne me gêne pas le moins du monde. Parce qu’à tous les âges un livre peut interpeller, questionner, ne pas aller dans le sens de ce que l’on a l’habitude d’attendre d’une lecture. Parce qu’un livre peut provoquer, être triste, offrir de multiples interprétations sans pour autant traumatiser.

Graphiquement, les illustrations charbonneuses de Thierry Dedieu ont un petit quelque chose de lugubre qui colle parfaitement au récit.

Clairement pas un album qui tourne à la franche rigolade mais le propos pousse à la réflexion et offre une émotion aussi touchante que contenue. De la belle ouvrage doublée d’une indéniable prise de risque. Chapeau bas messieurs.

D’entre les ogres de Baum et Thierry Dedieu. Seuil jeunesse, 2017. 38 pages. 15,00 euros. A partir de 5-6 ans.





vendredi 28 avril 2017

A la mesure de l’univers - Jon Kalman Stefansson

Il suffit d’un paysage désolé battu par les vents, d’un océan aux eaux glaciales, d’une île sauvage recouverte de neige, d’une traduction d’Éric Boury et de la plume ciselée de Jon Kalman Stefansson pour faire de moi un homme heureux. En toute subjectivité, j’adore cet auteur et sa petite musique si particulière.

« A la mesure de l’univers » poursuit la chronique familiale débutée avec « D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds ». On y retrouve donc Ari, de retour dans sa ville natale de Keyflavik  après des années passées au Danemark. Ari qui s’apprête à revoir son père mourant, qui vient de quitter sa femme et ne sait plus vraiment où il en est. Et à travers Ari on remonte l’histoire de sa famille sur trois générations, entre « aujourd’hui », « jadis » (c'est-à-dire dans l’entre-deux-guerres) et les années 80. Les chapitres alternent les époques, les lieux et les personnages, montrant chacun à un moment crucial, un moment où il va falloir faire un choix, où tricher avec soi-même ne va plus être possible.

Oddur le grand-père capitaine d’un bateau de pêche, Margret la grand-mère irrésistiblement attirée par le directeur d’école, Pordur leur fils passionné de littérature mais qui ne pourra s’extraire de sa condition de marin, Jakob, le père d’Ari qui deviendra maçon, mais aussi l’horloger Gunnar, Erin, Tryggvi, Aslaug, Svavar, Asmundur ou encore Ana. Des islandais habitués à l’âpreté et aux vents contraires qui ont plus de facilités à affronter les éléments déchaînés que leurs propres tempêtes intérieures.

Stefansson tisse sa toile, comme d’habitude brillamment mais avec moins de flamboyance que dans ses romans précédents. L’écriture est plus sèche, le lyrisme plus contenu et les aphorismes, qui étaient un peu sa marque de fabrique, quasi inexistants. Une évolution certaine et pourtant (en toute subjectivité, je vous le rappelle), le lecteur n’y perd pas au change. Parce que ce diable d’homme sait parler comme personne de la mort, de l’amour et du temps qui passe. Et puis il lui suffit d’une scène, d’une image pour saisir la grâce d’un moment, pour faire plonger dans l’océan un ivrogne décidé à cueillir la lune, pour décrire un visage conservant malgré les années « le souvenir imprécis d’une certaine beauté » ou pour exprimer la tristesse d’une femme à l’enterrement de son mari, « cet homme taciturne, râblé, et aussi dur qu’une pierre » qui ne viendra plus poser une couverture sur ses épaules quand elle regardera les étoiles.

Après, je conçois que la poésie de Stefansson puisse agacer ceux n’y voyant qu’une grandiloquence à la limite du ridicule. Mais ce n’est pas mon cas, vous l’aurez compris. Je crois même que c’est l’écrivain actuel qui me séduit le plus, un écrivain dont la mélancolie sans faux-semblant et la lucidité dénuée du moindre cynisme me touchent en plein cœur.

A la mesure de l’univers de Jon Kalman Stefansson (traduit de l’islandais par Éric Boury). Gallimard, 2017. 440 pages. 22,00 euros.





mercredi 26 avril 2017

Saga - Brian K. Vaughan et Fiona Staples

C’est Noukette qui m’a offert le tome 1. La diablesse. Elle savait en me le mettant entre les mains que j’allais devenir accro, qu’une fois l’album refermé il me faudrait la suite. Et vite. Pas manqué, j’ai craqué et acheté les deux suivants dans la foulée avant d’emprunter le 4ème à la médiathèque. Les 5 et 6 ne sont pas disponibles pour l’instant mais je me suis empressé de les réserver. Et depuis je trépigne !

Je ne vais pas rentrer dans les détails de l’histoire, d’une part parce qu’elle est assez complexe et d’autre part parce qu’il serait dommage de la déflorer pour les lecteurs qui n’ont pas eu la chance de mettre le nez dans cette saga. Saga, voilà au moins une série qui porte bien son titre. En gros et pour faire simple, dans une galaxie où une planète nommée « Continent » et son satellite « Couronne » sont en guerre depuis des temps immémoriaux, un « lunien » (combattant de Couronne) et une « ailée » (habitante de Continent) vont donner naissance à une petite fille. Cette union « contre nature » va faire de ce trio des fugitifs à abattre. La suite ? Je vous laisse la découvrir par vous-même.

Brillant, c’est selon moi le meilleur adjectif pour qualifier ce space-opera à la fois hyper ambitieux et parfaitement tenu. Parce qu’il aurait été simple de s’éparpiller dans un univers aussi foisonnant, de partir dans tous les sens et laisser la confusion s'installer. Mais Brian K. Vaughan n’est pas un perdreau de l’année, il sait mener sa barque en ménageant le suspens, en prenant le temps nécessaire pour développer son intrigue sans tirer sur la ficelle à coups de longueurs inutiles. On voyage donc de planète en planète sur les traces de Marko, Alana et la petite Hazel, on croise en route des chasseurs de primes, un Prince Robot, un écrivain célèbre, une ex-petite amie vindicative, une esclave sexuelle de six ans, un homme de ménage kidnappeur d’enfant ou un fantôme baby sitter. On en perd quelques-uns en route, on en récupère d’autres, on tremble, on s’énerve et on jubile devant les trouvailles scénaristiques sans cesse renouvelées.

Au-delà du grand spectacle intersidéral, l’histoire mêle un conflit galactique à une vie de couple hyper réaliste avec ses hauts et ses bas, touchant pour le coup à l’intime et à l’universel. Les personnages secondaires campés avec beaucoup d’attention, la voix off d’Hazel révélant sans les dévoiler complètement des événements à venir et la dernière page de chaque chapitre clôturant les épisodes de façon magistrale achèveront à coup sûr de convaincre les lecteurs réticents à se lancer dans une série de SF de prime abord bien trop éloignée de leur zone de confort. J’en suis le meilleur exemple (enfin, le meilleur, tout est relatif) parce que même si l’on m’a un peu forcé la main au départ, j’ai plongé la tête la première et je ne le regrette pas une seconde. Une tuerie cette Saga !

Saga T1 de Brian K. Vaughan et Fiona Staples. Urban Comics, 2013. 170 pages. 15,00 euros.
Saga T2 de Brian K. Vaughan et Fiona Staples. Urban Comics, 2013. 150 pages. 15,00 euros.
Saga T3 de Brian K. Vaughan et Fiona Staples. Urban Comics, 2014. 150 pages. 15,00 euros.
Saga T4 de Brian K. Vaughan et Fiona Staples. Urban Comics, 2015. 150 pages. 15,00 euros.
















mardi 25 avril 2017

Sauveur et fils, saison 3 - Marie-Aude Murail

Quoi de neuf chez le psychologue Sauveur Saint-Yves ? La routine. Des patients de longue date comme Ella, qui préférerait être un garçon et est harcelée par des camarades de classe depuis la diffusion d’une photo où on la voit travestie en homme. Mais aussi Margaux et Blandine, deux sœurs vivant mal la séparation de leurs parents ou encore Samuel, qui vient de rencontrer pour la première fois son père, un pianiste mondialement connu. Cette troisième saison ouvre également la porte du cabinet de consultation à de nouveaux cas comme le paranoïaque monsieur Kermartin ou la petite Maïlys qui, a 4 ans, se tape la tête contre les murs pour attirer l’attention de ses géniteurs collés en permanence à leurs téléphones portables.

La routine au niveau professionnel chez Sauveur donc, et toujours le même sac de nœuds dans la vie privée de ce veuf d’origine antillaise, entre son fils Lazare, sa nouvelle fiancée Louise, Alice et Paul les enfants de cette dernière, le SDF Jovo qu’il a recueilli dans sa cave, Gabin, un lycéen glandeur logé dans son grenier depuis que sa mère est internée et le pianiste dépressif Wiener qui va trouver une petite place dans le canapé du salon. Beaucoup de monde, beaucoup de choses à gérer, de conflits à régler, et quelques maladresses qui pourraient se payer cher. Car malgré les apparences, Sauveur a des failles, comme tout le monde.

Un roman jeunesse que l’on ouvre comme on déplie le papier de son bonbon préféré, en salivant à l’idée du plaisir qu’il va nous procurer. Trois saisons et j’admire toujours autant ce numéro de haute voltige, ce passage incessant d’un personnage à l’autre, ces dialogues au cordeau, ces interactions qui évoluent en montagne russe et gardent en permanence une note positive en dépit des frictions. J’aime le ton unique de Marie-Aude Murail, sa vision limpide de la société d’aujourd’hui où bien des enfants sont poussés malgré eux à assumer des choses qui les dépassent et "contraints d'être les parents de leurs parents". Un carrousel de vies dans lequel Sauveur monte chaque jour et dont il tente de descendre le soir venu pour retrouver sa propre existence, même s’il lui est bien difficile de cloisonner le personnel et le professionnel.

Une série tout sauf caricaturale qui n’a rien d’un long fleuve tranquille, qui gratte et qui pique parfois mais reste au final empreinte d’optimisme et de douceur. Un bonbon quoi, fondant et acidulé, dont le parfum inimitable reste en bouche bien après l’avoir croqué.

Sauveur et fils, saison 3 de Marie-Aude Murail. École des loisirs, 2017. 320 pages. 17,00 euros.


Une pépite jeunesse que je partage une fois encore avec Noukette.












dimanche 23 avril 2017

Novembre - Josephine Johnson

« La ferme était comme un vieil homme malade et geignard qui exigeait de l’attention à toute heure. »

Après avoir lu le Pulitzer 1934 dans la même collection, il me semblait logique d’enchaîner avec celui de 1935. D’ailleurs les deux ouvrages ont de nombreux points communs : des premiers romans, écrits par des jeunes femmes et mettant en scène des familles blanches rurales touchées par la pauvreté.

 Si « Les saisons et les jours » se passait avant la guerre de sécession, « Novembre » se déroule pendant la crise du début des années trente. La narratrice, Margot, a quitté la ville pour s’installer à la campagne avec ses parents et ses deux sœurs. Le père découvre la rude vie de paysan, il s’investit sans compter pour que sa ferme devienne rentable. Mais très vite une sécheresse implacable s’abat sur la région, la production de céréales et de légumes est en danger et la chute du cours du lait met en péril les revenus du foyer. Car si le loyer ne peut être payé au riche propriétaire terrien qui leur met à disposition (et à crédit) les murs et les champs, la famille se retrouvera à la rue.

J’avoue avoir eu du mal à me mettre en route. Le quotidien raconté par Margot a d’abord des allures de pastorale un peu cucul et l’emploi récurrent de l’imparfait du subjonctif donne au texte une préciosité qui interpelle. Mais passé le premier tiers, les événements s’enchaînent de façon plus fluide. Merle et Kerrin, les deux sœurs atypiques de Margot, apportent du piquant à l’intrigue, tout comme l’arrivée de Grant, un jeune homme embauché par leur père qui trouble énormément la narratrice. Sans compter le renforcement de la sécheresse, la déliquescence inexorable des récoltes, l’ombre de la dette et de l’hypothèque qui plombe l’avenir. Le drame est en marche, la tragédie inéluctable…

Je garderai au final l’image d’un beau roman sur la grande dépression, un roman de la résignation devant un désastre naturel qu’il est impossible de combattre. Résignation donc, mais pas pour autant renoncement car cette plongée dans une middle class frappée par la pauvreté montre aussi la volonté sans faille d’un patriarche refusant de baisser les bras face à l’adversité, persuadé qu’il lui suffit de courber l’échine le temps des vaches maigres avant de pouvoir se redresser. Un roman d’une actualité brûlante au moment de sa publication et dont la thématique reste malheureusement au goût du jour 80 ans plus tard.

Novembre de Josephine Johnson. Belfond, 2017. 204 pages. 14,00 euros.